La minceur à quel prix ?

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Aujourd’hui, les candidats à la minceur sont de plus en plus nombreux. C’est désormais à la population dans son ensemble que s’adressent les messages de vigilance visant à infléchir les courbes de l’obésité. Pourtant, malgré le battage médiatique fait par la presse, les radios et la télévision (qui n’a pas vu ou entendu le fameux «  manger cinq fruits et légumes  » ?), la plupart des personnes concernées n’arrivent pas à appliquer les recommandations pour rester minces et en bonne santé. D’autres chemins existent.

En novembre  2010 était publié un rapport collectif d’experts [1], mettant en cause les pratiques sauvages des régimes amincissants, notamment pour des personnes n’ayant pas de problèmes réels de surpoids et sans encadrement médical et psychologique. Les dérives associées à la pratique récurrente de ces régimes étaient pointées du doigt et le rapport arrivait à la conclusion édifiante que sur le moyen et long termes les régimes font grossir et entraînent souvent des dégâts physiques et psychologiques.

De nombreuses personnes pensent que manger équilibré ou réussir un régime n’est qu’une question de volonté et se culpabilisent donc de ne pas pouvoir changer leur comportement alimentaire pour retrouver ou garder la santé. Or ce stress et cette culpabilité renforcent bien souvent le comportement alimentaire problématique qui est pointé du doigt.

Sortir du cercle vicieux

Parmi les professionnels de santé, un certain nombre de voix s’élèvent aujourd’hui et défendent une autre hypothèse que celle de la responsabilité individuelle. Elles remettent en cause le discours ambiant sur l’équilibre alimentaire et s’insurgent contre le «  diététiquement correct  ». Elles évoquent les effets contre-productifs des messages nutritionnels auxquels nous sommes soumis. En diabolisant un certain nombre d’aliments, ces messages nous font entrer dans un système binaire, faussement rassurant où figurent d’un côté les bons aliments et de l’autre les mauvais. Manger devient anxiogène pour un nombre toujours plus grand de personnes. Dès lors comment consommer sans culpabilité ces aliments que de nombreux messages nous incitent à écarter ?

L’anthropologue Levi Strauss affirmait déjà, il ya plus de 60 ans, que «  pour qu’un aliment soit bon à manger, il faut qu’il soit bon à penser  ».

Comment est-il encore possible de ressentir les notions de base que sont la faim, la satiété, les appétits spécifiques pour tel ou tel aliment ? Et comment les respecter quand nos envies entrent en conflit avec les messages reçus ? Comment être en lien avec ses sensations corporelles quand ce sont les « recommandations », parfois transformées en injonctions conscientes et/ou inconscientes, qui désormais dictent quoi, quand et quelle quantité manger ?

En conséquence, nous en venons à nous alimenter non plus en fonction de ce que nous percevons de nos besoins, mais en fonction de règles «  universelles  » intériorisées plus ou moins consciemment. D’où ce sentiment de culpabilité face aux aliments.

C’est auprès des personnes les plus fragiles (notamment les enfants) que ces messages semblent les plus délétères. A diaboliser le gras et le sucré, c’est l’effet inverse qui se produit et c’est ainsi qu’apparaissent (et nous l’observons en consultation) des comportements de transgression comme le fait de manger en cachette ou de manger au-delà de sa faim, voire des compulsions alimentaires justement orientées vers ces aliments sur lesquels l’autorité (parentale, médicale et à présent institutionnelle) jette l’opprobre.
Mais que nous soyons adulte ou enfant, nous nous leurrons à croire que notre volonté et notre soif de contrôle peuvent être tout-puissants. Pour trois raisons essentielles :

• d’abord, parce que nous oublions que notre corps n’est pas un objet que l’on modèle et dompte à notre guise. Notre physiologie et notre programmation génétique ne connaissent pas cet idéal de minceur auquel nous cherchons à nous soumettre. Nous ne pouvons décider du poids que nous faisons. Et ce n’est pas parce que ce dernier dispose d’une certaine élasticité, que nous pouvons le faire varier au gré de nos envies. Nous disposons tous d’un poids d’équilibre pour lequel nous sommes programmés génétiquement. Et seul le respect de nos sensations alimentaires peut nous faire retrouver ce poids d’équilibre.

• ensuite, parce que le fait de manger et d’être rassasié ne répond pas seulement à des besoins énergétiques, mais aussi à des besoins émotionnels et psychiques. Par conséquent, vouloir maîtriser ces exigences naturelles et parfois inconscientes, en mettant en place des règles diététiques et un cadrage strict de son alimentation, revient à vouloir corseter corps et esprit et à préconiser un remède qui peut être pire que le mal en question.

• enfin, parce que nous sommes confrontés en permanence à des injonctions contradictoires que nous soumet la culture dans laquelle nous vivons. En effet, nous avons d’un côté les publicitaires et les industriels qui rivalisent d’ingéniosité pour rendre attirants ces produits et de l’autre une injonction de mise en garde et de maîtrise face à l’abondance qui nous est proposée.

Manger : toute une histoire

Face à ce constat, comment s’étonner de l’alternance entre périodes de contrôle et périodes de lâcher-prise total et de la perte de repères qui s’ensuit au niveau de nos sensations alimentaires ? Que d’énergie mobilisée pour répondre à cet idéal d’uniformité des corps !

Pourtant, l’insatisfaction corporelle peut être très présente et source d’une grande souffrance. Mais y répondre par un énième régime ne peut qu’apporter une réponse temporaire et illusoire. Certes, il peut y avoir perte de poids, cette apparence de succès pouvant même générer une certaine euphorie chez ceux qui parviennent ainsi à atteindre l’idéal qu’ils se sont fixé. Mais au prix de quels efforts ? Et quelle déception, lorsqu’aux premiers relâchements, la période de lune de miel prend fin…

Pour éviter les affres des yoyos et une relation passionnelle avec l’alimentation, il est important d’accepter d’ouvrir son regard et d’observer non seulement ce que l’on mange, mais aussi «  le comment  » et «  le pourquoi  ». Car manger, c’est bien autre chose que remplir un estomac, c’est faire intervenir toute une histoire, individuelle, familiale, culinaire, et inviter à sa table tous ses sens.

La vue, l’ouïe, l’odorat et le toucher participent au plaisir et au rassasiement sensoriel et émotionnel. Certes, pour pouvoir y être attentif, cela peut prendre du temps, nécessiter un apprentissage et même s’engager dans un vrai travail psychosensoriel. C’est là la solution pour pouvoir sortir de comportements alimentaires qui nous font souffrir et ainsi nous diriger vers la vraie gourmandise, c’est-à-dire la qualité (qualité que nous aurions tout intérêt à cultiver) de celui qui est gourmet.

Véronique Fabre
Diététicienne – Nutritionniste

[1] Rapport de l’ANSES (Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail) sur « l’évaluation des risques liés aux pratiques alimentaires d’amaigrissement ».

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